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Hospitalisation sous contrainte : rappels sur la procédure d'indemnisation du préjudice

Civil - Personnes et famille/patrimoine
22/10/2019
La Cour de cassation précise les modalités de l’indemnisation d’un préjudice résultant de la privation de liberté. Elle se prononce sur la compétence du juge et sur la procédure à suivre pour être indemnisé.
Un homme est admis en soins psychiatriques sans consentement sur décision du préfet selon la procédure de l’article L. 3213-1 du Code de la santé publique. Invoquant des irrégularités ainsi que l’absence de mainlevée de la mesure malgré des décisions judiciaires, le patient et sa compagne saisissent un tribunal de grande instance pour que leur préjudice né de l’atteinte portée à la liberté soit indemnisé.

Les juges du fond condamnent l’État à verser une indemnité de 50 930 euros au patient en réparation du préjudice résultant de la privation de liberté, 1 000 euros au titre du traitement sous contrainte ainsi qu’une indemnité de 3 000 euros à la compagne pour son préjudice moral. Le représentant de l’État forme un pourvoi en cassation. Plusieurs moyens sont invoqués.

L’incompétence du juge judiciaire. – Le représentant de l’État soulève un problème de compétence. En effet, la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011 a attribué l’entièreté du contentieux de l’hospitalisation d’office au juge judiciaire. Ainsi, il appartient au juge de la liberté et de la détention de se prononcer sur la mesure (C.santé publ., art. L3211-12).

Avant le 1re janvier 2013, date d’entrée en vigueur de la loi du 5 juillet 2011, seul le juge administratif avait compétence pour connaître de la légalité des arrêtés préfectoraux.

En l’espèce, les arrêtés préfectoraux sont antérieurs à la date d’entrée en vigueur de la loi. Le représentant de l’État estime donc que le litige relève de la compétence du juge administratif. Il ajoute que, si le juge judiciaire pouvait effectivement se prononcer dans le cadre d’une exception d’illégalité, il aurait dû au préalable constater que l’irrégularité invoquée peut être constatée sur la base d’une jurisprudence établie, ce qu’il n’a pas fait en l’espèce.

La Cour de cassation s’est donc avant tout prononcée sur une question de compétence.

Et, selon elle, « l’arrêt énonce exactement qu’il résulte de la combinaison de l’article L. 3216-1 du Code de la santé publique, dans sa rédaction issue de la loi n° 2011-803 du 5 juillet 2011, et des dispositions transitoires de l’article 18 de cette loi que si le juge administratif est demeuré compétent pour statuer sur les recours à l’encontre de toute décision administrative relative aux soins psychiatriques sous contrainte dont il aurait déjà été saisi avant le 1er janvier 2013, le juge judiciaire, saisi, à compter de cette date, d’une demande d’indemnisation des conséquences dommageables résultant pour l’intéressé de telles décisions, peut connaître des irrégularités dont ces dernières seraient entachées, dès lors qu’elles n’ont pas été préalablement soumises au contrôle du juge administratif ». Ce qui importe est donc la date de saisine du juge. En l’espèce, le juge judiciaire a été saisi après le 1er janvier 2013, justifiant sa compétence.

De ce fait, « en retenant la compétence du juge judiciaire, lequel ne statue pas alors sur une exception d’illégalité, la cour d’appel, qui n’avait pas à procéder à une recherche inopérante, n’a pas méconnu le principe de la séparation des autorités administratives et judiciaires ». Le moyen tiré de l’incompétence du juge est donc écarté.

Le non-exercice des voies de recours. – Le requérant invoque l’obligation pour la personne visée par l’arrêté d’user des voies de recours pour contester la légalité de l’acte administratif avant d’engager la responsabilité de l’État et de demander la réparation du préjudice résultant de la privation de liberté. Il estime en effet que « si la responsabilité de l’État peut être engagée, c'est seulement si les voies de recours ne permettent pas de purger la situation administrative de l'intéressée des vices qui l'affectent ».

L’homme hospitalisé sous contrainte n’a en l’espèce pas fait usage des voies de recours ouvertes contre l’arrêté.

La Cour de cassation devait ainsi se prononcer sur la nécessité ou non d’user des voies de recours d’un acte antérieurement à une action en responsabilité des conséquences de cet acte.

Les magistrats répondent succinctement que « l’article L. 3216-1 du Code de la santé publique ne subordonne pas la réparation des conséquences dommageables d’une décision administrative relative aux soins psychiatriques sous contrainte à l’exercice préalable par l’intéressé des voies de recours lui permettant de contester la légalité de cette décision ». Le deuxième moyen est aussi rejeté.

La régularité des arrêtés préfectoraux. – Le requérant soutient, enfin, que les arrêtés préfectoraux étaient réguliers. Il n’y aurait donc aucun préjudice à indemniser qui n’aurait, en outre, jamais été constaté.

Les magistrats ont ainsi dû opérer un contrôle de la légalité des arrêtés préfectoraux.

Or, selon eux, tout d’abord « le préfet ne justifie pas de la compétence, par délégation, de l’auteur de l’arrêté du 9 octobre 2012 ». Il y aurait donc bien une irrégularité affectant la légalité externe d’un des arrêtés.

En outre, « cette décision, malgré l’annexion d’un certificat médical, ainsi que les arrêtés préfectoraux des 12 juin, 15 juin et 10 juillet 2012 sont rédigés en termes généraux ne permettant pas de s’assurer que la personne présentait des troubles mentaux nécessitant des soins et compromettant la sûreté des personnes ou portant atteinte, de façon grave, à l’ordre public ». La Cour de cassation relève donc des irrégularités internes aux arrêtés.

Les arrêtés étant irréguliers, restait à s’interroger sur la présence d’un préjudice. Ainsi, « ayant ainsi caractérisé les irrégularités aux conséquences dommageables affectant ces décisions à l’origine des soins contraints, la cour d’appel en a exactement déduit que (le patient) pouvait prétendre à l’indemnisation de l’entier préjudice né de l’atteinte portée à sa liberté par son hospitalisation d’office irrégulièrement ordonnée et (sa compagne), à l’indemnisation de son préjudice moral ».

Les arguments du requérant sont donc tous rejetés. Le juge judiciaire est bien compétent pour ce type de contentieux, les voies de recours contre les arrêtés n’ont pas à être exercées au préalable et il existe bien des préjudices issus des différentes irrégularités. 
 
Source : Actualités du droit