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Un avocat n’a pas la qualité d’usager du service public de la Justice

Civil - Responsabilité, Procédure civile et voies d'exécution
05/12/2023
En réparation de son préjudice en raison des délais déraisonnables de la procédure initiée par sa cliente, un avocat, auxiliaire de Justice, a qualité à agir sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques (en cas de préjudice grave et spécial) et non sur le fondement de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire (COJ), n’ayant pas la qualité d’usager ou de collaborateur du service public de la Justice. C’est ce qu’a indiqué le Tribunal judiciaire de Paris dans un jugement rendu le 4 décembre 2023.
Un avocat réclame l’indemnisation, sur le fondement de l’article L. 141-1 du Code de l’organisation judiciaire (COJ), d’un préjudice qu’il allègue avoir personnellement subi dans le cadre de ses fonctions d’avocat, en raison des délais déraisonnables de la procédure initiée par sa cliente. En effet, il indique en substance que le retard dans le traitement par les juridictions de l’affaire lui occasionne un préjudice, puisqu’il n’a pas perçu ses honoraires de résultat et voit sa réputation affectée.
 
Avocat et qualité d’usager du service public de la Justice
Depuis un arrêt du 21 décembre 1987 (Cass. 1ère civ., 21 déc. 1987, n° 86-13.582, B), la recherche de la responsabilité de l’État sur le fondement de l’article L. 141-1 du COJ est réservée aux seuls usagers du service public de la Justice, caractérisée par le bénéfice qu’ils tirent du service (contrairement au tiers ou à l’agent public). En l’occurrence, la qualité de partie à une procédure emporte celle d’usager, contrairement à la qualité de tiers (Cass. 1ère civ., 12 oct. 2011, n° 10-19.720, B).
Concernant un avocat, la responsabilité de l’État peut, dans certains cas, être engagée sur le fondement de l’article du COJ susmentionné. Notamment quand il était personnellement visé par des faits qu’il qualifiait de faute lourde, alors que son client n’était pas lui-même victime de cette faute (Cass. 1ère civ., 13 oct. 1998, n° 96-13.862, B). Mais, sauf circonstances particulières telles que celle-ci, l’avocat ne peut prétendre à la qualité d’usager du service public de la Justice et agir sur le fondement de l’article L. 141-1 du COJ.
Cependant, il ne justifie d’aucune circonstance particulière ayant pour effet de le rendre personnellement concerné par la procédure.
 
Engagement de la responsabilité sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques
Ne justifiant pas de la qualité d’usager, ni de celle de collaborateur du service public de la Justice, il ne peut engager la responsabilité de l’État sur le fondement de l’article L. 141-1 du COJ mais sur le fondement de la rupture de l’égalité devant les charges publiques, fondement compatible avec sa qualité d’auxiliaire de Justice. C’est notamment ce qu’avait jugé le Conseil d’État dans un arrêt d’assemblée du 22 octobre 2010 (CE ass., 22 oct. 2010, n° 301572).
 
Charge de la preuve d’un préjudice anormal et spécial
De plus, l’engagement de la responsabilité du service public de la Justice sur le fondement de la rupture d’égalité devant les charges publiques nécessite que le demandeur rapporte la preuve d’un préjudice anormal et spécial, excédant, par sa gravité, les charges qui doivent être normalement supportées en contrepartie des avantages résultant de l’exercice de ce service public. En l’espèce, cependant, ne justifiant pas que les délais de jugement lui ont occasionné un préjudice excédant la charge qu’il lui incombe normalement de supporter en tant qu’auxiliaire de Justice, l’avocat demandeur est finalement débouté de ses demandes.
 
Résistance est donc encore faite à la Cour de cassation ! Sur un contentieux susceptible de se développer très fortement à l’avenir. A suivre…
Source : Actualités du droit