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Loi fourre-tout : focus sur les dispositions relatives au droit des étrangers

Civil - Personnes et famille/patrimoine
18/06/2020
Sécuriser la situation des étrangers se trouvant en France, tel est également l’un des objectifs de la loi relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, publiée le 18 juin 2020 au Journal officiel. Un point concret sur ce que prévoit cette loi. 
Le constat est clair : « la fermeture des frontières et le contexte d’urgence soulèvent des problèmes en matière de titres de séjour et de demandes d’asile », soulignait Guillaume Kasbarian lors de la première séance à l’Assemblée nationale du 14 mai (Assemblée nationale, compte rendu intégral, 14 mai 2020). Le Gouvernement a donc souhaité y apporter des réponses.
 
Initialement, le projet de loi permettait au gouvernement de prendre par voie d’ordonnance des dispositions relatives au droit des étrangers. Néanmoins, au cours des débats à l’Assemblée, des amendements ont été déposés pour supprimer les habilitations, au profit d’une inscription dans la loi de ces différentes dispositions. « C’est donc l’ensemble des dispositifs relatifs aux étrangers présents dans notre pays qui seront revus et prorogés pour tenir compte des difficultés de mobilité en période de crise sanitaire » précise la députée Stella Dupont.
 
La loi organise relative à diverses dispositions liées à la crise sanitaire, publiée le 18 juin 2020 au Journal officiel ainsi :
- la prolongation de la durée de validité des documents de séjour ;
- le bénéfice de l’allocation pour demandeur d’asile (ADA) prolongé ;
- la situation des étudiants étrangers ;
- la situation du travailleur saisonnier ;
- et des modifications du CESEDA.
 
 
La durée de validité des documents de séjour prolongée
Rappelons que l’article 16 de la loi n° 2020-290 du 23 mars d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19 avait habilité le Gouvernement à prévoir la prolongation de la durée de validité des titres de séjour expirant entre le 16 mars et le 15 mai 2020, par voie d’ordonnance (v. Covid-19 : la durée de validité des titres de séjour prolongée de 6 mois, Actualités du droit, 5 mai 2020).
 
Néanmoins, « il est prévisible que les préfectures ne seront pas encore en mesure de recevoir les étrangers pour l’ensemble de leurs démarches, en particulier ceux dont le titre aura expiré après cette date et qui ne bénéficient pas de la prolongation de la durée de validité de leur titre » précise le projet de loi initial.
 
L’objectif est « d’une part de sécuriser la situation des titulaires jusqu’à la réouverture de l’accueil du public dans l’ensemble des services étrangers des préfectures, qui aura lieu le 15 juin au plus tard (même si elle pourra avoir lieu avant dans certaines préfectures), et d’autre part, de permettre de reporter le pic d’activité de ces mêmes services à l’automne » (TA AN n° 2915, 2019-2020, amendement n° 447). 
 
Avec cette précision de Muriel Jourda lors des débats au Sénat : « Je rappelle que nous parlons, en l’occurrence, de personnes étrangères en situation régulière sur le territoire qui bénéficient d’un titre de séjour et qui sont dans l’incapacité d’en demander le renouvellement du fait de l’arrêt du fonctionnement des préfectures » (Sénat, compte rendu intégral, 26 mai 2020).
 
Ainsi, l’article 15 de la loi dispose que la durée de validité des documents de séjour arrivés à expiration entre le 16 mai et le 15 juin est prolongée de 180 jours. Sont concernés, peu important qu’ils aient été délivrés sur le fondement du CESEDA ou d’un accord bilatéral, les :
- visas de long séjour ;
- titres de séjour, à l'exception de ceux délivrés au personnel diplomatique et consulaire étranger ;
- autorisations provisoires de séjour ;
- récépissés de demandes de titres de séjour.
 
Par ailleurs, pendant la durée de l’état d’urgence, les étrangers titulaires d’un visa de court séjour ou ceux exemptés de l’obligation de visa « qui, en raison de restrictions de déplacement, sont contraints de demeurer sur le territoire national au-delà de la durée maximale de séjour autorisée se voient délivrer par l'autorité compétente une autorisation provisoire de séjour ». Un décret doit être publié pour organiser les modalités d’application et préciser la durée maximale de l’autorisation.
 
S’agissant de la durée de validité des attestations de demande d’asile arrivées à expiration entre le 16 mai et le 15 juin 2020, elle est prolongée de 90 jours.
 
À noter que cet article « est applicable à Saint-Martin, à Saint-Barthélemy, en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna et en Nouvelle-Calédonie ».
 
 
Le bénéfice de l’ADA prolongé
« Le bénéfice de l'allocation pour demandeur d'asile est prolongé pour les personnes qui auraient cessé d'y être éligibles à compter du mois de mars 2020 » prévoit la loi et ce, jusqu’au 31 mai de la même année. Pour ceux qui se sont vu reconnaître la qualité de réfugié ou le bénéfice de la protection subsidiaire, le bénéfice s’étend jusqu’au 30 juin 2020. Néanmoins, « l'autorité compétente conserve la possibilité de mettre fin à ce versement ».
 
Face aux critiques contre ces dispositions, le ministre Marc Fesneau a apporté des précisions lors des débats au Sénat : « Je veux simplement rappeler que les bénéficiaires de l’allocation pour demandeur d’asile, une allocation de subsistance versée sous conditions de ressources, font manifestement partie des personnes en situation de pauvreté bénéficiaires des prestations sociales durant la période d’état d’urgence pour lutter efficacement contre la propagation du virus sans dégrader les conditions de vie des personnes précaires. Les demandeurs d’asile qui auraient dû quitter le lieu d’hébergement mis à leur disposition ont été exceptionnellement autorisés à s’y maintenir, par cohérence avec ces mesures d’accompagnement. Il est nécessaire d’éviter toute rupture du versement de l’ADA, qui constitue, pour ces personnes, l’unique source de revenus, l’unique moyen de subsistance » (Sénat, compte rendu intégral, 26 mai 2020).
 
 
Les étudiants étrangers autorisés à travailler plus
L’article 8 de la loi publiée le 18 juin prévoit que les étrangers présents en France à la date du 16 mars 2020 et titulaires de la carte de séjour temporaire portant la mention « étudiant » peuvent, « de manière dérogatoire », exercer une activité professionnelle salariée dans la limite de 80 % de la durée du travail annuelle et ce, jusqu’à la date de reprise effective des cours dans les universités et établissements d’enseignement supérieur.
 
Le projet de loi prévoyait initialement un arrêt du dispositif au 31 août 2020 mais finalement un amendement a été adopté, expliquant que « la dérogation accordée aux étudiants est liée au contexte actuel de fermeture des universités jusqu’à la fin de l’année universitaire en cours. Dans l’incertitude de la situation actuelle, il convient donc de limiter sa durée jusqu’à la date effective de reprise des cours » (TA AN n° 2915, 2019-2020, sous-amendement n° 587).
 
Rappelons qu’un étudiant étranger est normalement autorisé à travailler dans la limite de 60 % de la durée de travail annuelle. Cette proposition de porter la durée à 80 % permettrait ainsi de remplir un objectif économique, celui de répondre au besoin de la main d’œuvre agricole et un objectif social qui est de permettre aux étudiants étrangers de disposer d’un complément de revenus (TA AN n° 2907, 2019-2020, amendement n° 138).
 
Ces dispositions n’ont pour autant pas convaincu tous les députés, à l’instar de Jérôme Lambert qui a déclaré en séance publique à l’Assemblée nationale qu’ « en outre, Français ou étrangers confondus, il y a dans notre pays des millions de personnes au chômage, et on nous dit qu’on a besoin de main-d’œuvre. Demander que ce soient des étudiants, d’ailleurs souvent mal payés ou sous-payés, qui pallient un manque de main-d’œuvre supposé, alors que tant de travailleurs, quelle que soit leur nationalité, sont au chômage en France, est une disposition qui ne me semble pas adéquate ».
 
Mêmes discussions au Sénat, où certains parlementaires ont demandé la suppression de cet article. Stéphane Ravier a ainsi dénoncé le fait que « quand le marché entend le mot « étudiant » ou encore le mot « étranger », il entend « main-d’œuvre à bas coût ». Ainsi, vous voudriez permettre aux étudiants étrangers d’exercer une activité professionnelle salariée dans la limite de 80 % du temps de travail annuel : il s’agit véritablement d’une filière déguisée pour le travail saisonnier étranger et une concurrence de l’intérieur imposée à nos compatriotes » (Sénat, compte rendu intégral, 26 mai 2020). Ce qui n’a pas empêché cet article d’être adopté.
 
 
La situation du travailleur saisonnier
Durant l’état d’urgence sanitaire et dans les six mois à compter de son terme, « l'étranger présent en France à la date du 16 mars 2020 et titulaire de la carte de séjour pluriannuelle portant la mention « travailleur saisonnier » peut exceptionnellement séjourner et travailler en France « pendant la ou les périodes fixées par cette carte et qui ne peuvent dépasser une durée cumulée de neuf mois par an », prévoit l’article 9 de la loi publiée le 18 juin au Journal officiel.
 
Précisons que l’objectif du projet de loi initial était de « déroger (…) aux dispositions relatives au travail saisonnier pour répondre au manque de disponibilité de main d’œuvre en particulier dans le secteur agricole ».
 
 
Des dispositions du CESEDA modifiées
L’article 16 prévoit plusieurs modifications du Code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) :
- un « document provisoire délivrait à l’occasion d’une demande d’un titre de séjour », une attestation de demande d’asile ou d’une autorisation provisoire de séjour, autorise la présence de l’étranger en France (CESEDA, art. L. 311-4, al. 1er) ;
- la délivrance d’une autorisation provisoire de séjour, d’une attestation ou « d’un document provisoire délivré à l’occasion d’une demande de titre de séjour » n’a pas pour effet de régulariser les conditions de l’entrée en France, à moins que l’intéressé ait la qualité de réfugié ou se soit vu accorder le bénéfice de la protection subsidiaire (CESEDA, art. L. 311-5) ;
- aux articles L. 311-5-1 et L. 311-5-2 du CESEDA, il est dorénavant prévu que l’étranger qui se voit reconnaître la qualité de réfugié peut souscrire une demande de délivrance de carte de résident et celui qui se voit accorder le bénéfice de la protection subsidiaire peut souscrire une demande de délivrance de carte de séjour, et dans l’attente de ces cartes, « l'étranger a le droit d'exercer la profession de son choix dans les conditions prévues à l'article L. 314-4 », un décret devant déterminer les conditions dans lesquelles l’étranger est autorisé à séjourner en attendant ;
- s’agissant de la commission du titre de séjour, la présente loi prévoit que jusqu’à ce que l’autorité administrative ait statué, « un décret en Conseil d'État détermine les conditions dans lesquelles l'étranger est autorisé à séjourner en France » (CESEDA, art. L. 312-2).
 
S’agissant d’un étranger faisant l’objet d’une obligation de quitter le territoire français (CESEDA, art. L. 511-1), la loi prévoit que l’autorité administrative peut obliger à quitter le territoire un étranger non ressortissant si « le document provisoire délivré à l’occasion d’une demande de titre » de séjour (et plus le récépissé de la demande) ou l’autorisation provisoire lui a été retiré ou si le renouvellement de ces documents lui a été refusé.
 
Exceptionnellement, l’autorité administrative peut décider que l’étranger est obligé de quitter sans délai le territoire français, s’il :
- s’est vu refuser la délivrance ou le renouvellement de son titre de séjour, de son « document provisoire délivré à l’occasion d’une demande de titre » ou de son autorisation provisoire si sa demande était manifestement infondée ou frauduleuse ;
- risque de se soustraire à l’obligation de quitter le territoire, notamment s’il s’est maintenu sur le territoire français plus d’un mois après l’expiration de son titre de séjour, de son « document provisoire délivré à l’occasion d’une demande de titre » ou de son autorisation sans avoir demandé le renouvellement.
 
 
Notons que, finalement, toutes ces dispositions figurent dans le corps de la loi. En effet, plus de 75 % des habilitations inscrites dans le projet de loi initial ont disparu (v. Loi fourre-tout : ce que contient finalement le texte paru au Journal officiel, Actualités du droit, 18 juin 2020). Il n’en reste que 10 et aucune ordonnance ne porte sur les mesures relatives à la justice dans le texte final. 
 
 
Source : Actualités du droit